1. La vérité si je mens

SLAM!

Au milieu d’un rêve qui semblait pourtant parfaitement tangible, les aventuriers se réveillent en sursaut, surpris par le bruit, bien réel lui, d’une lourde porte qui claque.

Reprenant leurs esprits ils se rendent compte qu’ils sont dans une pièce ronde, éclairée par 2 torches et au milieu de laquelle se trouvent les éclats brisés d’un énorme miroir circulaire, enchâssé dans le sol. Mais plusieurs choses les perturbent. D’une part ils n’ont aucun souvenir d’être jamais venu dans cette pièce, et d’autre part ils ne reconnaissent pas leurs compagnons d’infortune.

Deux orcs, un Gnome, un Félys et un Tiefelin. Les orcs se connaissent, et pour cause Ganagoroth est le frère ainé de la jeune et impétueuse Gringaroth. Fidèle, le Tiefelin, avait déjà vu ces deux là, dans le rêve dont il venait d’être tiré. Etrangement les deux orcs avaient partagé ce même rêve. Margay le Félys, lui ne connaissait personne et pourtant il avait la vague impression de les avoir déjà vu quelque part. Aleb le Gnome partageait également ce sentiment… Mais que s’était-il passé?

Entendant s’approcher des cris provenant de couloir donnant sur la pièce, les camarades d’infortune n’avaient pas le temps de se poser trop de questions. Ils s’engouffrèrent dans la porte opposée, d’où émanaient d’étranges bruits d’incantation et de métal. Enjambant les lourdes chaines brisées qui avaient dû servir à condamner la porte, nos amis choisirent l’option courageuse de la fuite.

Margay resta cependant un instant pour mieux voir leurs poursuivants. Une dizaine de moines surgirent par le couloir opposé mais s’arrêtèrent net, les yeux remplis d’horreur à l’idée de s’approcher d’avantage. Sans chercher à en savoir plus, Margay ferma la porte et rejoint ses compagnons.

Aidés par leur vision nocturne, la fine équipe progressa prudemment dans un couloir depuis longtemps abandonné. Fidèle, voulant en savoir plus sur les dangers au devant desquels ils couraient, inspecta soigneusement le sol et aperçut des traces fraiches ressemblant étrangement à leurs propres traces.

– Ca pue ça!

Réagit avec a-propos Gringaroth. Et les autres d’acquiescer.

Leur progression les mena à une catacombe circulaire d’où émanaient d’étranges cliquetis insectoïdes. Gringaroth se glissa discrètement d’un côté de la pièce tandis que Fidèle fît de même de l’autre, non sans renverser maladroitement une stèle funéraire, ce qui ne manquât pas d’alerter la créature dont le lieu servait de garde manger: un Ankheg!

Ankheg

Aleb, dont l’éducation de magicien allait enfin servir, sut reconnaitre la bête, et même identifier qu’il lui manquait un membre. Toujours à l’affût d’une occasion de se faire oublier, il suivit le mouvement de Gringaroth qui s’était mise en quête de contourner le monstre pour le mieux surprendre. L’ankheg se rua sur Fidèle, mais sa morsure ne put atteindre l’habile moine. Ganagoroth fit appel à son dieu pour frapper l’insecte d’un feu sacré qui le fit s’illuminer, tandis que Fidèle acheva la besogne d’un coup de bâton bien placé. La bête était terrassée sans trop de difficulté, et pour cause, il apparut clairement qu’elle avait déjà été blessée il y a peu.

Gringaroth remarqua un objet brillant au sol, un médaillon argenté sur lequel était gravé le dessin d’un corbeau. Elle se garda bien d’en révéler l’existence à ses compagnons.

Hésitant à continuer plus avant, nos amis se concertèrent. Convaincus qu’ils pourraient en apprendre d’avantage chez les encapuchonnés, ils revinrent à leur lieu de départ.

Quelques moines étaient en train de remplacer la chaîne de la porte lorsque débarquèrent les 5 compères. Surpris, et peu désireux de se battre, les moines prirent la fuite pour prévenir la garde, mais Gringaroth se saisit de la capuche d’un petit moinillon et le somma de s’expliquer. Le petit Fabrice, terrorisé par l’orque qui l’avait soulevé d’un seul bras à 50 cm du sol, n’était pas en mesure de leur dire grand chose, mais leur expliqua en sanglotant qu’ils trouveraient sûrement des réponses auprès d’Arkil, le père supérieur. Les compagnons n’avaient pas confiance mais on leur assura qu’il n’allait rien leur arriver.

Arkil etait un vieil elfe dont les rides et la simple tenue de lin n’enlevaient rien à sa prestance. Il reçut les aventuriers dans sa modeste chambrette, et à leur grande surprise les réprimanda sévèrement.

– Vous avez failli à votre devoir, maintenant à cause de vous le miroir de divination est brisé. Ma colère est grande mais la déesse vous pardonnera si vous retrouvez les bandits qui ont fait cela

Devoir? Déesse? Tout cela ne rimait à rien pour nos camarades, mais Arkil n’en démordait pas. Ils avaient été engagés pour garder le miroir, il y a de nombreuses années d’après lui, et leur mission était de le protéger à tout prix. Mais aucun d’eux n’avait ce souvenir. Le prêtre leur expliqua que c’était probablement un effet secondaire lié à la destruction du miroir, mais ses explications étaient loin d’être convaincantes. La déesse en question n’étant autre qu’Ellona, déesse de la vérité, il était cependant difficile de remettre en cause les dires d’un de ses hauts représentants.

Enguérand, le capitaine de la garde, arriva sur ces entrefaits et il expliqua aux aventuriers qu’ils n’auraient le droit de quitter la ville qu’une fois les malfrats retrouvés et que justice soit faite. Très contrariés, les compagnons furent pourtant obligés de se plier au bon vouloir de la garde, n’ayant aucune envie d’être traduits en justice, et désireux de mieux comprendre leur situation.

Retour dans les couloirs sombres où nos amis, en convenant d’un plan, se rendirent compte qu’ils portaient tous un tatouage en forme d’oeil. Symbole qu’ils avaient pu remarquer sur la tenue de tous les moines du monastère et qu’Aleb reconnu comme le symbole de la déesse Ellona. Encore un mystère de plus.

le symbole d’Ellona, déesse de la vérité

Soudain Ganagoroth eut un flash, un souvenir bien réel dans lequel il poignardait son propre père dans son sommeil. Son père à qui il vouait une admiration sans fin. Jamais il n’aurait pu commettre un tel acte, et surtout aussi lâchement. Gringaroth vit son malaise, mais il ne voulu pas en dire d’avantage.

Les traces finirent par mener nos amis à une poterne qui avait été condamnée par des barreaux. Ces derniers avaient été brisés probablement par une combinaison de sorts et de force brute. La poterne étant en hauteur, Gringaroth considéra quelques instants l’idée de laisser le gnome derrière, car le pauvre ne pouvait pas l’atteindre. Le petit gnome psalmodia quelques paroles et soudain Gringaroth le trouva soudain bien plus sympathique, voire même mignon. Il la supplia à nouveau, faisant des yeux de chien triste, et avant que son coeur n’implose, l’orque le hissa hors de son trou. Elle réprima quand même l’envie de lui faire un gros câlin.

La poterne donnait sur la place du marché, qui était fort animé en cette fin de matinée. Tous les aventuriers eurent une étrange sensation de déjà vu. Cette place, ces odeurs, ils n’y avaient jamais mis les pieds et pourtant chaque emplacement, chaque slogan de marchand leur évoquait des souvenirs vivaces. Ils tentèrent de s’en remémorer d’avantage, de préciser ces souvenirs, mais plus ils se concentraient dessus, plus ils leur échappaient.

Une scène attira l’attention du groupe: un jeune homme gisait à terre dans une marre de sang, son père le tenant dans ses bras en hurlant sa douleur. Soudain une marchande hurla:

– CE SONT EUX!

Immédiatement la foule se tourna vers nos pauvres amis, le père hors de lui se rua sur eux, prêt à en découdre. Heureusement le Capitaine Enguérand avait anticipé les problèmes et raisonna, si pas le père, au moins la foule. Il s’avéra que les malfrats ressemblaient en tous points à nos camarades, à quelques différences vestimentaires prêt. D’après les descriptions qui en furent faites, ceux là n’étaient pas marqués du symbole d’Ellona. Rapidement nos compagnons reprirent la chasse, s’engouffrant dans les ruelles où semblaient s’être enfuis leurs alter-egos. Mais en pleine heure de pointe, et ayant déjà un bon quart-d’heure de retard, ils durent se rendre à l’évidence qu’ils n’arriveraient pas à les poursuivre.

Margay eut l’idée de chercher dans la foule d’autres Félys ayant l’air de le reconnaître. Il finît par en remarquer un qui le regardait avec plus d’insistance. Il alla l’aborder, jouant la carte de l’improvisation:

– Hey, on se connait, non?

– Qu’est-ce que tu me veux Margay

– Ca fait une paye, ça te dirait d’aller boire un verre

l’autre jeta un regard noir à Margay, ainsi que son poing qui manqua de peu sa cible.

– Fous moi la paix Margay, et si tu touches encore à ma femme je te jure que je te tue.

Margay eut alors un flash, et se souvint clairement d’avoir couché avec la femme de son interlocuteur dont il ne pût cependant pas remettre le nom. Mais ça n’était pas tout, dans sa tête défilèrent les souvenirs de nombreuses autres conquêtes… parmi lesquelles Gringaroth. Il chassa rapidement l’image de son esprit, jetant un coup d’oeil furtif à la demi-orque, et réprima un sentiment de dégoût. Reprenant ses esprits, il fit intérieurement le point sur ce qu’il venait d’apprendre: non seulement ils ressemblaient à leurs alter-ego, mais portaient également le même nom. Margay ne croyait déjà pas trop aux coïncidences, mais celle-là en était une de trop. Il fit part au groupe de sa découverte, omettant soigneusement le détail qui fâchait, et nos amis décidèrent de se rendre dans les docks, à la recherche de l’un ou l’autre gamin de rue qui pourrait leur donner des infos.

Il ne fallut pas attendre trop longtemps pour remarquer trois gamins qui scrutaient le groupe. Gringaroth s’approchant d’eux, ils prirent immédiatement la fuite, mais bien au fait de la vie de rue elle leur fît comprendre qu’elle avait un travail payant pour eux. Les gamins revinrent vers elle, et l’un d’eux pris son air le plus défiant:

– C’est dangereux?

– Non, je veux juste que vous me retrouviez un groupe de personnes.

– Trois pièces d’argent!

– Tu peux rêver gamin, ça les vaut pas, j’en trouverai d’autres comme toi qui bosseront pour moitié moins.

– OK, trois repas alors.

– Ca marche, il y a une auberge là. Gringaroth désigna une auberge crasseuse nommée « Le Porc qui Grince »

– Nan, celle là! Répondit l’autre sur un ton de défi, pointant vers l’auberge voisine, bien plus engageante: « A la Fontaine Fleurie ».

– Et puis quoi encore, tu voudrais pas que je te lèche les bottes non plus?

Allégorie ou oxymore?

Fidèle, agacé par la lenteur des négociations fit usage d’un de ses tours de Tiefelin pour créer l’illusion d’un tremblement de terre sous leurs pieds. Immédiatement les gamins prirent la fuite, mais décidément habile à cette pratique, Gringaroth agrippa le plus lent par l’encolure et le souleva jusqu’à coller son nez contre le sien. Elle plongea son regard noir dans ses yeux, non sans l’avoir au préalable plongé dans ceux de Fidèle. Le petit accepta en bougonnant et se mît à table au propre comme au figuré. Mais loin de perdre le nord le petit persista dans la négociation.

– Donc on avait dit trois repas.

– Ho gamin, me la fait pas à l’envers, t’es seul mais t’auras qu’un repas

– Et une bière!

– Non mais à ton âge tu rêves, un lait de chèvre et puis c’est tout.

– On a que du lait de truie ici, aboya l’aubergiste, c’est le « Porc Grinçant » ici, pas la « Biquette Ruminante ».

Gringaroth dut se retenir d’avoir recours au meurtre, ce que perçut le gosse qui finit par accepter la pitance, non sans réclamer un supplément de petit salé.

– C’est qui les gars qu’on doit retrouver? Demanda-t-il.

– Des gars comme nous. Expliqua Aleb

– Deux orcs moches, un gnome, un chat et un truc bizarre?

Fidèle retira sa capuche, révélant sa nature de Tieflin, ce qui interloqua l’enfant. Sous le ton de la confidence, le môme murmura à Ganagoroth qui était juste à côté de lui:

– Il a des cooooooooornes…

Sur les tempes de Gringaroth, l’on pouvait voir saillir deux grosses veines. Fidèle pouffa, amusé par la tournure des événements.

– Pas simplement comme nous, précisa Ganagoroth, ils sont exactement pareils.

– Donc si j’ai bien pigé, c’est vous que j’dois trouver?

– T’as pigé.

– Bon bah je vous ai trouvé.

Gringaroth dût à nouveau se retenir mais son frère lui donna un regard indiquant qu’il valait mieux qu’elle aille faire un tour dehors.

Après quelques explications supplémentaires, le gosse finit par enfin comprendre, tenta à nouveau de négocier une prime de risque puis fila, leur promettant des résultats d’ici midi. Les aventuriers ayant faim, et encore deux heures devant eux décidèrent de manger puis de se séparer pour aller pêcher d’autres informations.

0 – L’homme à la tête de cheval

La pluie s’abattait sur les deux silhouettes massives qui arpentaient les rues de Haute-Banière en ce glacial soir d’hiver. A l’abri de sa morsure impitoyable, sous leurs épaisses capuches, Ganagoroth et sa soeur Gringaroth avaient hâte de poser leur cul de demi-orcs sur le banc d’une auberge. On leur avait indiqué que leur engeance serait accueillie sans difficulté au Kobold Fringuant, et c’est effectivement ainsi qu’il en fût lorsqu’ils saluèrent enfin le tenancier nain aux larges épaules qui répondait au nom de Gurdil.

La bière était chère, mais elle était naine, l’adresse était décidément la bonne. L’ambiance était plutôt détendue parmi les quelques tablées peuplées principalement de nains et d’humains, les uns devisant, les autres jouants, tous buvants. Seuls trois convives attirèrent l’attention du militaire aguerri qu’était Ganagoroth. Deux au regard qui ne présageait rien de bon et un troisième jouant seul aux fléchettes dans le fond de l’auberge. Celui-là, Gringaroth l’avait aussi repéré. Une occasion pour arnaquer quelques bières à ce nigaud encapuchonné, s’était-elle dit. Sûre de ses talents à ce jeu, elle défia Fidèle -c’est ainsi qu’il se présenta- et s’en mordît les doigts car il était loin d’être une proie facile. Elle faillit même éborgner son prêtre de frère, pressée qu’elle était d’en finir avec ce pari ridicule qui allait lui coûter 2 pièces d’argent. C’est que la bière naine et les fléchettes ne font pas bon ménage.

Mais Ganagoroth était affairé à autre chose. Il épiait les deux bonshommes qui semblaient en avoir après la vieille elfe qui venait de monter se coucher. Fidèle aussi avait repéré la manoeuvre et sous peu, après avoir croisé son regard incandescent de Tiefelin avec celui du demi-orc, ils entreprirent de suivre les malandrins. Fidèle et Gringaroth montèrent discrètement à l’étage, tandis que Ganagoroth, équipé d’une lourde armure préféra rester en bas pour avertir l’aubergiste qui semblait n’en avoir cure.

Un cri, celui de l’elfe, précipita les choses. Le Tiefelin d’un bond souple se plaça d’un côté de la porte, l’orque de l’autre, mais trop tard ils étaient repérés. Un bris de vitre, encore un cri: « Au voleur! », et c’en était trop. Les deux se ruèrent dans la chambre, le passage barré par le plus massif des deux hommes, un gourdin à la main. Gringaroth plongea entre ses jambes pour s’assurer que l’elfe était sauve tandis qu’en quelques coups de bâton particulièrement bien placés, Fidèle disposa du molosse, lui fendant presque le crâne.

En bas, entendant successivement les cris et les bris, Ganagoroth ne se fît pas prier pour goûter à nouveau à la caresse glaciale de la pluie. Sans capuche, cette fois. Mais il ne pût rien faire pour arrêter le vilain qui avait habilement placé sa monture sous la fenêtre et était déjà trop loin pour qu’on y puisse faire goutte. Sous le son du tocsin de l’auberge, les goutes en un plic ploc métalique, complétaient sur son casque une mélodie ironique. Et tandis que la nuit se refermait sur ce galop qui narguait l’orc en un decrescendo évocateur, son visage grimaça au goût amer de la défaite.

Sur le molosse ils récupérèrent un médaillon sur lequel était sculpté en relief une tête de cheval. Ganagoroth insista pour soigner l’homme et le faire parler. Ce dernier était terrorisé et ne semblait pas être en mesure de tenir un propos cohérent alors on le mît dans la cellule de dégrisement de l’auberge en attendant la garde.

La garde tarda à arriver, et il fût bientôt clair à leur haleine et à leur attitude que les rues avaient pour eux perdu de leur qualité rectiligne. Les trois bougres étaient faits autant qu’on peut l’être, et ne tarirent pas d’insultes et de nigauderie face au demi-orc qui se retenait non sans mal. Le « Gros Dagnon », c’est par ce sobriquet que les gardes appelaient le malfrat. Il avait supplié nos aventuriers de ne pas les appeler, Ganagoroth commençait à comprendre pourquoi. Tandis qu’il se faisait emporter en pleurnichant et suppliant vers le poste, les trois aventuriers rassemblèrent les informations qu’ils avaient pu en tirer: il faisait partie d’une bande dirigée par un certain « Tête de cheval », et dont le repaire était dans les bois à quelques heures de marche de Haute-Banière, au delà de la Ruya. L’objet du larcin était un sac contenant des potions destinées à l’usage du temple du « Grand Veneur », dieu de la chasse et de la guerre. L’elfe, répondant au nom de Siveriane, visiblement en état de Shock, leur promît une récompense s’ils lui rapportaient ses potions.

Après une nuit sans événements, et un petit déjeuner qu’ils aurait aimé plus consistent, les trois aventuriers décidèrent d’un plan. Ne voulant pas se faire tomber dessus en plein jour, ils prirent le temps de s’organiser afin d’arriver sur place à la tombée de la nuit. Tandis que Fidèle démontrait que sa victoire de la veille aux fléchettes n’était pas le fruit du hasard, Ganagoroth s’enquît du prisonnier auprès du capitaine de la garde. C’est ainsi qu’il apprît que Dagnon était un gars du cru, et que les sbires de tête de cheval étaient tous des gamins de Haute-Bannière. En causant les hommes arrivèrent à une bien triste conclusion concernant le « Gros Dagnon », il avait été passé à tabac, et portait bien plus de coup qu’il n’en avait en quittant l’auberge la veille. D’après le capitaine, la bande se constituait d’une dizaine de « gamins » et d’un chef dont on ne sait semble-t-il pas grand chose.

La tour dans laquelle les bandits se réfugiaient était à une demi-journée de marche, c’est donc en début d’après-midi que l’équipée improbable s’était mise en route. Ganagoroth avait sans succès tenté de convaincre les compagnons de Siveriane de les aider, mais Kerrl, le nain, avait catégoriquement refusé, prétextant qu’il avait un commerce à faire tourner, et bien que Béric, le jeune apprenti forgeron humain semblait vouloir en découdre, il n’était pas équipé pour l’aventure et bien trop impétueux pour assurer une approche discrète. C’est donc vers 13h que sortirent de la ville un prêtre demi-orc, sa roublarde de soeur et un exotique moine Tieflin. Bien conscients qu’ils allaient être en infériorité.

Alors qu’ils progressaient dans les bois en tâchant d’être le plus discrets possibles, les 3 comparses entendirent des bruits de cavalcade au devant du chemin. Ils se tapirent dans les ronces, juste à temps pour voir passer sans être aperçus 4 chevaux chacun monté par deux hommes qui poussaient des cris enjoués de ceux que seuls une bande de jeunes puceaux se rendant à leur premier bal peuvent crier. Rassurés de voir leur infériorité numérique soudain changée, les aventuriers reprirent leur progression.

A l’approche de la tour, une chose venue des bois fonça subitement sur Gringaroth, elle eut juste le temps de se jeter sur la branche la plus proche pour se mettre à l’abri du danger. L’assaillant surgît des ronces et au même moment Ganagoroth décocha un sort aveuglant qui frappa la cible en un éclair de feu. Un râle précéda le bruit sourd d’un corps sans vie heurtant le sol en un ultime spasme. Le danger écarté, nos aventuriers découvrirent la vraie nature de l’ennemi, et c’est non sans délectation qu’ils décidèrent de le mettre de côté afin de le manger plus tard. Après tout, qui peut dire non à une bonne gigue de chevreuil.

La nuit tombée, ils arrivèrent enfin à la tour. Deux gamins armés mais ivres « gardaient » l’entrée de la tour: une porte massive en bois. Ils jouaient aux osselets auprès d’un brasero et argumentaient bruyamment sans prêter attention à leur environnement. Ce fût donc sans peine que Fidèle et Gringaroth se frayèrent un chemin autour de la bâtisse, une tour circulaire imposante d’une dizaine de mètres de haut coiffée d’un parapet crénelé et pourvue de multiples meurtrières. Devant cette dernière, un puits que joignit fidèle d’un bond subtil afin de se rapprocher des deux gardes, inconscients de ce qui se tramait. Gringaroth, elle, avait fait le tour par l’autre côté et avait rejoint l’étable où se trouvaient deux chevaux.

Ganagoroth tenta de distraire les gardes en produisant un son inquiétant en bordure du bois, mais les deux abrutis crurent qu’il s’agissait d’une chouette. Gringaroth pris alors les choses en main, rentrant dans l’étable et libérant un des chevaux qui ne demanda pas son reste, effrayé qu’il était par l’odeur inhabituelle de la demi-orque. L’équidé pris ses jambes à son cou et les deux gardes, surpris, le prirent en chasse, l’un deux abandonnant même sa lance sur place. C’est alors qu’ils prirent pleine conscience de leur malheur. Alors que le cheval s’éloignait bien plus vite que leurs jambes ne pourraient jamais les porter, ils virent se dresser sur leur chemin la silhouette imposante que dessinait un quintal de muscle et de crocs sous la lune blafarde. Ganagoroth les accueillit comme seul un orc sait le faire, d’un choc qui épargne pour toute une vie la crainte d’encore avoir des caries. La masse d’arme de l’orc percuta de plein fouet le pauvre garçon dont le monde passa du noir au rouge sans transition, étalé qu’il était de tout son long. La gueule de bois allait être plus dure que prévu finalement.

Fidèle et Gringaroth avaient pendant ce temps rejoint la lourde porte d’entrée. Gringaroth tenta de crocheter la lourde porte, mais force était de constater qu’elle était fermée par l’intérieur au moyen d’un lourd madrier, alors ils vinrent prêter main forte à Ganagoroth. Ce dernier entendit soudain une cloche sonner juste au dessus de sa tête… ah non c’était une flèche décochée par sa soeur qui ces derniers jours semble en avoir après lui, et qui avait fort heureusement ricoché sur son casque. Mais cela n’avait que peu d’importance, son bras s’éleva vers les étoiles tandis que son vis-à-vis suivait d’un regard vide la masse prenant son essor. Au moment où la parabole atteint son apogée, le présage d’une conclusion imminente fît naître dans les yeux du gamin deux perles nacrées dont le reflet vint parfaire l’alignement des étoiles, de la masse et de son crâne. A l’issue de cet instant éphémère, écharde de temps suspendu, figé dans un recoin ténu de la mémoire des hommes, tout s’accéléra et il n’y eut plus rien.

Les deux gardes ayant leur compte, il fallait maintenant trouver comment pénétrer dans la bâtisse. Loin d’être bête, Gringaroth suggéra, immédiatement suivie par Fidèle, de mettre le feu à la porte. Sous l’oeil incrédule de son frère, l’orque s’empressa de verser le contenu du brasero au pieds de l’énorme porte. C’en était trop pour Ganagoroth qui lui expliqua la stupidité de sa tentative. « Comment veux-tu que ça prenne? » lui dit-il, tout en se dirigeant vers l’étable. Une minute plus tard il revint avec dans ses bras autant de foin qu’il y pouvait mettre. « Voilà, comme ça ça ira mieux ».

Observant la progression des flammes pendant quelques minutes, il apparût rapidement que les cavaliers auraient tôt fait de revenir avant que la porte ne finisse par s’écrouler. En désespoir de cause, les aventuriers se résolurent à opter pour l’option moins subtile: passer par le toit. Après une rapide démonstration de son habileté étonnante pour une demi-orque, Gringaroth atteint le parapet et lança une corde. Fidèle n’eut pas tant de grâce cette fois et lâcha maladroitement la corde en pleine ascension. Ganagoroth poussa le énième soupir de la journée et suggéra au Tieflin de s’attacher à la corde plutôt que d’essayer d’épater la galerie.

Tout le petit monde ayant rejoint le parapet, Ganagoroth fît usage de quelques rudiments de magie qui lui étaient octroyés par son dieu pour convoquer un serviteur invisible. Ce dernier pût facilement ouvrir la trappe au centre de la terrasse qui n’était heureusement pas piégée et descendit les escaliers sans encombre. Une fois le long escalier descendu nos amis se retrouvèrent de l’autre côté de la porte d’entrée, à moitié aveuglés par la fumée qui en émanait. Trois autres portes se présentaient aux aventuriers. Ganagoroth intima à son serviteur l’ordre d’ouvrir la porte ouest.

Cet ordre fût son dernier, car au moment même où le serviteur ouvrit la porte, un homme masqué bondit sur le serviteur et une épée s’abattit dans le vide éthéré qui faisait office de corps au spectre, brisant de ce fait le sort. L’équipe était sur ses gardes, et Fidèle fût le premier à se jeter sur l’ennemi. Le bâton du moine fusa mais le bandit était alerte et d’un geste nonchalant de la tête esquiva sans peine l’attaque. Gringaroth prît le temps d’ajuster un tir de sa fidèle arbalète de poing et fît mouche juste dans la nuque du malandrin, lui extirpant un cri de douleur et attisant le goût du sang dans la bouche de l’orque. Ganagoroth projeta un rayon qui vint frapper l’encagoulé dont les chances semblaient déjà bien minces. Mais il ne se laissât pas faire pour autant, d’un coup d’épée bien senti il transperça le flanc du Tieflin, ce qui manquât, mais de peu, de l’occire. Il se dégagea fissa de l’affaire avant qu’elle tourne au vinaigre pour lui. Gringaroth n’était cependant pas bien loin, et si sa rapière manqua la cible, c’était pour mieux surprendre sa proie. D’un subtil mouvement du bassin elle déplaça son corps de sorte à exposer le flanc de son adversaire. Celui-ci perçut la manoeuvre et entama une riposte. Un sourire narquois naquit sur les lèvres de l’orque, l’imbécile était tombé dans le panneau. Elle transmit toute l’inertie de son corps dans son bras gauche, idéalement placé dans l’angle mort de l’homme. Du revers de son arbalète personnalisée auquel était attaché un vicieux contrepoids elle percuta sa mâchoire et il tomba inconscient après que sa tête ait subitement effectué une rotation qu’aucune tête saine d’esprit ne s’aventurerait à effectuer.

Tête de cheval étant défait, les aventuriers retirèrent son masque et convinrent qu’il eut mieux valu le lui laisser tant il était défiguré. Laissant là l’homme à son sort, ils le détroussèrent et trouvèrent un parchemin sur lequel étaient griffonnés d’étranges dessins. Ligotant le malheureux, le trio entreprit de visiter le reste de la bâtisse. Au tour de la porte nord cette fois.

Le serviteur invisible ayant rendu son dernier service, il fallait passer au plan B. Ganagoroth s’approcha de la porte, bien protégé derrière son bouclier, au cas où un piège devait se déclencher. La porte était pourvue d’un bas relief en tête de cheval, probablement une clé, mais Ganagoroth n’en avait cure, il était certain que son bouclier allait le protéger quoi qu’il puisse arriver. Il ouvrit la porte, et entendit un « clic »

Soudain le sol se déroba sous ses pieds. Une trappe piégée… il n’y avait pas pensé à celle-là. Il tomba mais un reflex extraordinaire de Fidèle lui sauva la mise. Le Tieflin dans un geste éclair agrippa la main de l’orc et l’empêcha de tomber 3 mètres plus bas. Sous lui, une pièce s’ouvrait et comme il était déjà à moitié dedans, il se laissa tomber sans encombres plus bas. Sur un mur une sculpture en bas relief que l’orc s’empressa d’examiner de plus près. La sculpture ressemblait très précisément au dessin du parchemin de tête de cheval… Seize figures encapuchonnées, pieds-nus, marchant sur une passerelle au dessus de la plèbe qui semblait souffrir et pointer vers un soleil au centre duquel se trouvait une tête de cheval sculptée en creux. Sous la tête de cheval, un cadran indiquant le chiffre « 22 »… qu’est-ce que cela pouvait bien signifier?

The End